lundi 5 janvier 2009

LES VILLES INVISIBLES D'ITALO CALVINO: entre utopie et dystopie par Els Jongeneel

Io credo nell’avvenire delle città acquatiche, in un mondo popolato da innumerevoli Venezie.
(Italo Calvino, 1974)

Une utopie à contrainte

Vers la fin des années soixante, l’œuvre d’Italo Calvino dont les origines remontent à l’immédiat après-guerre, prend une tournure nettement plus formelle. Si dans ses ouvrages antérieurs Calvino avait surtout combiné le fantastique et l’engagement politique et social, dans les textes des années ’70, Les villes invisibles (1972), Le château des destins croisés (1973) et Si par une nuit d’hiver un voyageur (1979), il se met à expérimenter avec la forme littéraire. Ce formalisme s’explique par l’influence du poststructuralisme français dont Calvino s’inspire à l’époque. De 1967 jusqu’en 1980 il séjourne régulièrement à Paris, où il s’associe avec ‘L’Ouvroir de Littérature Potentielle’. L’Oulipo consiste en un groupe d’auteurs d’origine française pour la plupart, qui ont des affinités avec le poststructuralisme par l’intérêt qu’ils manifestent pour le pouvoir heuristique de la forme textuelle. Les oulipiens essayent d’exploiter au maximum les possibilités narratives et expressives du langage à partir de ‘contraintes’, des règles de construction textuelle empruntées à des domaines divers, tels la versification, les mathématiques et le jeu d’échecs. [1] Calvino est admis comme ‘membre étranger’ de l’Oulipo. En 1967, il traduit en italien un roman du chef du groupe, Raymond Queneau. [2] En outre il collabore aux recueils collectifs du groupe, la Bibliothèque Oulipienne. [3]

Cependant, en dépit de tout formalisme Calvino n’abandonne pas pour autant sa position critique vis-à-vis de l’actualité historique. Au contraire, il reste attaché avec toutes les fibres de son être et de son art à la terra incognita de la vie humaine. Ainsi, à l’époque des expériences oulipiennes, il rédige une anthologie des écrits de Fourier pour les éditions Einaudi. [4] Ces travaux l’amènent à se pencher sur le genre de l’utopie. L’utopie le fascine, étant donné qu’elle réunit la critique sociale et le merveilleux, une combinaison de thèmes qu’il n’avait cessé d’exploiter lui-même jusque-là dans ses ouvrages (Petersen).

On pourrait donc dire que dans Les villes invisibles qu’il publie tout de suite après l’anthologie fouriériste, Calvino poursuit son interrogation critique de la société. Pour ce faire, il a opté cette fois-ci pour une adaptation moderne du récit de voyage de Marco Polo. On rencontre souvent des réélaborations de textes ou de thèmes littéraires connus chez Calvino. Tel Borges, un de ses auteurs préférés dont il se réclame souvent, Calvino aime à s’inscrire dans la Bibliothèque en tant que glossateur et continuateur. S’y ajoute qu’il connaissait assez bien les aléas de Marco Polo, vu que, en 1960, il avait entrepris des recherches sur le célèbre voyageur vénitien pour un scénario de film qui finalement resta inédit (Falcetto). Dans Les villes invisibles, il a transformé le voyageur beau parleur de La description du monde en utopiste engagé et lucide et son employeur, l’empereur des Tartares, [5] en cosmopolite désillusionné et anxieux. Les deux interlocuteurs s’interrogent à tour de rôle sur le monde moderne en construisant et déconstruisant des villes fabuleuses à force de paroles, de gestes et d’objets. De même que dans l’œuvre antérieure de Calvino, où elle constitue un thème récurrent, [6] la ville figure ici comme symbole de la société humaine. C’est ce symbole complexe de la ville utopique dans Les villes invisibles, le texte que Calvino à son propre dire préférait à ses autres ouvrages (Leçons américaines 118), que je me propose d’interroger.

Furor mathematicus

Les Villes invisibles reposent sur une structure rigoureuse qui répond à une règle de jeu inventée par l’auteur lui-même (“Préface par Italo Calvino” III). Les villes décrites sont au nombre de cinquante-cinq, réparties sur neuf chapitres ou sections. Les sections sont séparées par des textes cadres en italique comprenant les dialogues entre Marco Polo et Kublai Khan. Les villes ont été réparties en onze rubriques: ‘Les villes et la mémoire’, ‘Les villes et le désir’, ‘Les villes et les signes’, ‘Les villes effilées’, ‘Les villes et les échanges’, ‘Les villes et le regard’, ‘Les villes et le nom’, ‘Les villes et les morts’, ‘Les villes et le ciel’, ‘Les villes continues’, ‘Les villes cachées’. Chaque rubrique comprend cinq villes. Chaque section introduit une nouvelle rubrique et en termine une autre, sauf la dernière section. La règle du jeu est la suivante: après avoir introduit la première rubrique, ‘Les villes et la mémoire’ (A), l’auteur change de rubrique à chaque fois que le numéro de la position x à l’intérieur de la rubrique courante réduit de 1, équivaut à 1 ou à plus d’1 que le numéro de position de la rubrique successive, donc A1 A2 (x-1) B1 A3 (x-1) B2 (x-1) C1 A4 etc. (Kuon 27). Ainsi chaque ville est reliée aux autres villes par un lien paradigmatique, à l’intérieur de la section où elle se trouve et par un lien syntagmatique, à l’intérieur de la rubrique en question qui, elle, enjambe les sections (pour un schéma de la structure des Villes invisibles, voir l’appendice).

La structure fermée s’inspire de la méthode mathématique de l’exhaustion actuellement appliquée dans le calcul intégral (Milanini 134). Elle permet à l’auteur de multiplier les points de vue sans devoir se soucier de la causalité narrative. Par conséquent elle offre au lecteur la possibilité de plus d’un trajet de lecture (le parcours selon les rubriques par exemple). Cependant le texte stimule en même temps la lecture linéaire grâce à un développement thématique que ponctuent les textes cadres (Milanini 133): dans les sections I et II Marco Polo et le Kan se demandent si le discours humain est capable de remédier à la déchéance du monde, mais ils constatent bien vite que cela est impossible; dans les sections III -VII ils cherchent fiévreusement d’autres moyens pour connaître le monde, tandis que dans VIII et IX, après avoir testé plus d’un système descriptif du réel, Marco opte pour l’approche directe du présent. En dépit de ce pragmatisme du hic et nunc, le texte fait preuve d’un pessimisme croissant: dans I-IV dominent les thèmes du désir et de la mémoire, tandis que dans V-IX règnent la dégénération et la mort.

Sans aucun doute Calvino s’est inspiré ici des expériences formelles de l’Oulipo, néanmoins la règle du jeu à la base des Villes invisibles n’est pas une contrainte proprement dite. [7] La structure à contrainte, elle, règle la causalité de l’histoire, comme dans Si par une nuit d’hiver un voyageur par exemple, tandis que le réseau structural soutenant les Villes invisibles n’influe guère sur le cours que prennent les fantasmagories de Marco et du Khan. [8] Au contraire, la macrostructure régulière du texte contraste avec la microstructure fragmentaire et ouverte des esquisses urbaines. En outre, la structure ingénieuse du texte ne correspond pas à un développement thématique parallèle. Ainsi certaines rubriques ne sont pas entièrement distinctives, étant donné que les mêmes thèmes réapparaissent dans plusieurs séries. Par exemple, on rencontre le désir, la mémoire, les échanges et les signes, en tant qu’éléments fondamentaux de la sémiose, dans un grand nombre de portraits.

Cette tension entre forme et vie, cette ‘double postulation’ vers le système rationnel et vers l’histoire dynamique qui en fin de compte ne se laisse pas endiguer au moyen de structures, nous la rencontrons souvent dans les écrits de Calvino des années soixante-dix. Tout en se considérant ‘membre du parti des cristaux’ (Leçons américaines 118), dans ce sens qu’il adhère à la rationalité de la structure géométrique pour pouvoir expliquer l’énigme de la condition humaine, Calvino avoue en même temps de ne pas pouvoir abandonner ‘le parti de la flamme’, le dynamisme des choses qui échappent continuellement à l’emprise des structures et réseaux. Ainsi lors d’une interview en 1973 sur la fonction du système utopique fouriériste et saint-simonien dans la société moderne, Calvino répond:

Pour moi le ‘système’ fonctionne lorsqu’on sait qu’il s’agit de quelque chose de mental, d’un modèle rationnellement construit que l’on vérifie continuellement en ayant recours au réel; en revanche, si l’on croit que le système coïncide avec le dehors, avec le monde… […]. Je tiens beaucoup au modèle formel, déductif, structural, je suis d’avis qu’il s’agit là d’un instrument opérationnel nécessaire soit en tant que schéma du présent soit en tant que projet pour le futur (ou utopie, ou prophétie) que l’on oppose au présent. Là aussi, lorsque nous l’appliquons au réel il deviendra toujours autre chose, car le réseau des déterminations sera toujours plus touffu et plus varié que nos modèles théoriques, et alors il nous faudra toujours de nouveaux systèmes (mentaux) pour comprendre le présent et diriger le futur’. (Saggi 1945-1985, Vol. II 2795-96)



La ville dystopique

Les Villes invisibles présentent la société moderne comme un prolongement de l’homme, de ses désirs (d’où les noms de femmes que portent les villes), de sa soif de comprendre, de connaître et de se connaître (d’où les noms de ville grécisants), de son orgueil et de ses ambitions, de ses craintes et de ses souvenirs. Les portraits urbains, ainsi Calvino, sont issus d’un dossier où il notait au jour le jour ses préoccupations concernant l’actualité politique:

Il y eut une période où je n’arrivais à imaginer que des villes tristes et une autre que des villes heureuses; à une époque je comparais les villes au ciel étoilé et à une autre époque, j’étais sans cesse tenté de parler des immondices qui se répandent chaque jour hors des villes. C’était devenu une sorte de journal qui suivait mes humeurs et mes réflexions. (‘Préface par Italo Calvino’ I-II )

Les villes décrites par Marco allégorisent donc la vie en tant que projet et construction humaine. C’est surtout dans les rubriques ‘Les villes et le désir’, ‘Les villes et la mémoire’ et ‘Les villes et le regard’ qu’est tracé le lien ombilical entre l’homme et la société. Ainsi Despina se présente différemment selon qu’on l’approche par terre ou par mer, le chamelier la voit comme un navire grâce auquel il pourrait s’évader du désert, le marin la songe comme un chameau qui lui permettrait de fuir la mer. [9] Le plan des rues de Zobéïde fut construit comme une trappe destinée à capter une femme entrevue en rêve par les architectes (59-60); et la physionomie de Zemrude change selon l’humeur de celui qui la regarde (81). La ville de Phyllide, elle, reste en partie invisible pour ses habitants, parce que ceux-ci ne reconnaissent que les points dans la ville qui sont reliés à telle ou telle sensation (108-109). Le rapport entre l’homme et son entourage s’exprime à travers le dialogue permanent: les villes heureuses continuent au travers des années et des changements à donner leur forme aux désirs (46), à poser des questions à l’homme et à lui apporter des réponses (cf. 56). [10]

Calvino part d’une vision existentielle du monde. Cela signifie que pour lui le hic et nunc constitue l’unique base à partir de laquelle il évalue l’entreprise dynamique de la vie humaine. Effectivement Marco, le porte-parole de l’auteur, ne cesse de synchroniser l’histoire des villes imaginaires qu’il étale aux yeux du Khan. Il s’intéresse uniquement aux ‘tristesses inessentielles’ des villes existantes et aux “cendres des … villes possibles” (74). Sa vision dystopique de la vie porte sur l’instantanéité de tout effort humain perceptible à travers le “résidu de malheur qu’aucune pierre précieuse ne pourra compenser” (74). Elle contraste avec l’utopie proposée par le Khan qui, lui, est obsédé par l’avenir. L’empereur préférerait perspectiviser l’existence selon la triple dimension temporelle du passé, du présent et de l’avenir. A sa question: “Tu voyages pour revivre ta vie passée?”, Marco répond: “L’ailleurs est un miroir en négatif. Le voyageur y reconnaît le peu qui lui appartient, et découvre tout ce qu’il n’a pas eu, et n’aura pas” (38).

C’est surtout à l’intérieur de la rubrique ‘Les villes et la mémoire’ qu’est développée la perspective existentielle du présent. Le passé du voyageur se transforme à mesure qu’il change d’itinéraire. Le présent est le produit des désirs changeants de l’homme, ce n’est pas le prolongement du passé qui lui dicterait la voie à suivre. Ainsi la ville moderne de Maurillia, elle, ne ressemble en rien à la Maurillia de jadis, “une autre ville qui par hasard s’appelait aussi Maurillia” (40). L’homme utilise le passé en l’incorporant dans ses projets. Témoin la ville de Zaïre qui s’est imprégnée du passé et le possède “pareil aux lignes d’une main” (15). Bref, l’homme fait le réel, il ne le subit pas. L’existentialisme de Calvino est quasiment dépourvu de facticité. Comme le remarque le visiteur de Zoé, la ville où les différences ont été effacées, “l’existence en chacun de ses moments est tout entière elle-même” (44).

L’importance du présent, à chaque fois l’unique et irrévocable point d’embarquement vers de nouvelles entreprises, se manifeste surtout à travers le motif de la ville sans retours, qui revient à plusieurs reprises dans les débats que soulèvent le Khan et Marco (cf. 68-69). C’est que le premier est continuellement à la recherche de villes modèles afin de pouvoir maîtriser son empire. Par contre Marco, lui, explique que chaque ville est unique et faite d’exceptions (84).

Pourtant, l’attitude existentielle de Calvino n’amène pas à un refus désabusé de l’Histoire, mais à une approche critique et vigilante de l’actualité. Il rejette la terre promise, la projection vers l’avenir utopique du marxisme qui l’avait tenté au début de sa carrière. Témoin le dernier dialogue entre le Kan et Marco sur la ville parfaite et la ville infernale, si souvent cité dans les anthologies: “Parfois”, dit Marco, “il me suffit d’une échappée qui s’ouvre au beau milieu d’un paysage incongru, de l’apparition de lumières dans la brume, de la conversation de deux passants qui se rencontrent dans la foule, pour penser qu’en partant de là, je pourrai assembler pièce à pièce la ville parfaite, composée de fragments jusqu’ici mélangés au reste, d’instants séparés par des intervalles, de signes que l’un fait et dont on ne sait pas qui les reçoit. Si je te dis que la ville à laquelle tend mon voyage est discontinue dans l’espace et le temps […], tu ne dois pas en conclure qu’on doive cesser de la chercher” (188-189 – pour un autre exemple modérément optimiste de la ville discontinue, voir 186-187 la Bérénice juste enroulée dans la Bérénice injuste). Mais le Khan a de la peine à renoncer à la futurologie:

Tout est inutile, si l’ultime accostage ne peut être que la ville infernale, si c’est là dans ce fond que, sur une spirale toujours plus resserrée, va finir le courant. Et Polo: l’enfer des vivants n’est pas chose à venir; s’il y en a un, c’est celui qui est déjà là, l’enfer que nous habitons tous les jours, que nous formons d’être ensemble. Il y a deux façons de ne pas en souffrir. La première réussit aisément à la plupart: accepter l’enfer, en devenir une part au point de ne plus le voir. La seconde est risquée et elle demande une attention, un apprentissage, continuels: chercher et savoir reconnaître qui et quoi, au milieu de l’enfer, n’est pas l’enfer, et le faire durer, et lui faire de la place’ (189).

Soulignons donc que d’un côté Calvino s’inspire des utopies subjectivistes des XVIIIe et XIXe siècles, qui traitent d’un monde meilleur hypothétiquement réalisable dans le cours de l’Histoire. De l’autre, comme le remarque à juste titre Kuon (36), il s’appuie sur les utopies des XVIe et XVIIe siècles, des utopies à la Rabelais, Campanella et More, qui représentent non pas des états historiquement réalisables, mais des miroirs critiques confrontant le lecteur avec sa situation dans le monde. [11]

La vision dystopique du réel que Calvino étale dans Les Villes invisibles l’amène à parodier toute forme d’utopisme idéalisé. La parodie se manifeste surtout mais pas exclusivement à l’intérieur de la rubrique ‘Les villes et le ciel’. Citons par exemple les habitants de Bersabée qui sont obsédés par une ville céleste qu’ils imaginent toute en or et en pierres précieuses, d’après laquelle ils construisent la Bersabée terrestre. Cependant il y a encore la Bersabée souterraine et infernale comprenant les détritus et les matières fécales de la Bersabée terrestre. Cependant ils ne se rendent pas compte qu’ils sont en train de construire une ville infernale basée uniquement sur la soif du gain, qui cyniquement contraste avec la ville des “dons libres” de la Bersabée terrestre, “la ville qui cesse d’être avare, calculatrice, intéressée, seulement quand elle chie” (132). [12] Les habitants de Périntie, eux, ont voulu s’assurer la grâce des dieux, en construisant leur ville d’après les calculs des astronomes. Malheureusement cette ville prometteuse n’a produit que des créatures horriblement déformées (166-167). Les habitants de Tecla à leur tour pensent éviter la débâcle en bâtissant et rebâtissant sans arrêt leur ville. Ces utopistes acharnés ont divinisé leur projet de construction à tel point qu’ils craignent la destruction totale une fois les travaux terminés (147-148). [13]

Une autre catégorie de citadins misanthropes a tourné le dos à la terre en s’isolant à l’intérieur de villes effilées. Tels les habitants d’Octavie qui ont construit une ville suspendue en l’air, attachée par des cordes aux crêtes des montagnes, ou les habitants de Baucis qui ont bâti leur ville sur des perches et qui “préfèrent ne pas descendre” (94). La vie des habitants d’Octavie, ainsi le commentaire cynique de Marco, est moins incertaine que celle des habitants des autres villes, car ils savent que le filet ne pourra durer toujours (91).

La parodie de l’utopisme se manifeste encore à travers les descriptions des villes dualistes. Dans les villes des rats et des hirondelles, de l’eau de la terre, des morts et des vivants, on se demande quelle ville doit servir de modèle à l’autre et pourquoi, et comment la copier.

Signalons encore, à l’intérieur de la dystopie calvinienne, l’espèce rarissime de Lalage, la ville légère qui est discutée dans la première conversation-cadre de la cinquième section, la section centrale des Villes (cf. 90). Lalage est régulièrement visitée par la lune qui s’y repose grâce à des haltes que les habitants lui ont construites. Pour la remercier de son hospitalité, la Lune a conféré à Lalage le privilège de croître en légèreté. Dans ‘Légèreté’, la première des Leçons américaines. Aide-mémoire pour le prochain millénaire, [14] une série de conférences lucides et érudites où Calvino se prononce sur le rôle de la littérature à l’intérieur du monde moderne, l’auteur traite de la thématique du vol et de l’envol dans la littérature. Il y discute entre autres le rôle de la lune qu’il relie au pouvoir de l’imaginaire poétique. Telle la Lune qui fait croître la ville de Lalage, l’art aide l’homme à recommencer, [15] car il l’affranchit de la pesanteur de l’existence, [16] non pas par des rêveries évasives mais en proposant des combinaisons toujours nouvelles sur l’échiquier de la vie. Lalage forme une de ces “faibles lumières du lointain” (73) à l’intérieur de l’empire infernal.



La description du monde

Il est clair que Calvino rejette le subjectivisme idéaliste qui fait coïncider la connaissance et la perception du monde. Témoin l’illogisme absurde développé dans la conversation-cadre qui clôt la septième section. L’idéalisme finit par annihiler ceux qui l’avaient conçu: “Nous avons démontré”, commente Kublai, “que si nous y étions, nous n’y serions pas” (137). [17] Les deux interlocuteurs abandonnent donc en cours de route les raisonnements sur la place du sujet dans l’univers. Pour se comprendre, il ne reste qu’à décrire la ville née des désirs du sujet. Dans ce projet, l’art joue un rôle primordial.

Dès l’incipit, l’urgence de la description du monde actuel s’impose: le monde se présente tel un empire en dissolution qui risque de nous entraîner dans sa chute. En tant que souverain las et inquiet, le Khan représente tous ceux qui découvrent le vide de l’existence qu’ils se sont construite:

Il y a un moment dans la vie des empereurs, qui succède à l’orgueil d’avoir conquis des territoires d’une étendue sans bornes, à la mélancolie et au soulagement de savoir que bientôt il nous faudra renoncer à les connaître et les comprendre; une sensation dirait-on de vide, qui nous prend un soir […], c’est le moment de désespoir où l’on découvre que cet empire qui nous avait paru la somme de toutes les merveilles n’est en réalité qu’une débâcle sans fin ni forme… (9-10).

Significativement en effet, c’est l’amorphe qui est la cause principale de la décadence générale qui nous menace. C’est par cette constatation qu’ouvrent Les Villes invisibles. Calvino, nous l’avons vu, part du principe existentiel basal que c’est l’homme qui se construit le monde en s’y projetant. Par conséquent la menace de l’amorphe implique la chosification de l’homme. Dans les Leçons américaines, Calvino discute entre autres le problème de la perte de l’expressivité dans la société contemporaine. Cette menace de l’amorphe, il la constate en première instance dans l’usage de la parole. D’après lui l’unique remède contre cette “peste langagière” qui contamine tous les domaines de la vie humaine, c’est la littérature. En tant que forme rationnelle et ennemie du hasard, le texte littéraire permet de redonner un sens à l’amorphe, parce qu’il garde intactes les différences et empêche le réel de se scléroser:

L’œuvre littéraire est une de ces menues portions en quoi l’existant se cristallise, prend forme, acquiert un sens qui n’est nullement figé […] mais aussi vivant qu’un organisme. La poésie est la grande ennemie du hasard, bien qu’elle-même fille du hasard, et consciente qu’en dernière instance il gagnera la partie. (Leçons américaines 116)

Ainsi, tel le vent métamorphosant en figures les nuages au-dessus de Tamara (cf. 20), les paroles de Marco remédient à l’amorphe: “C’est dans les seuls comptes rendus de Marco Polo que Kublai Khan pouvait discerner […] le filigrane d’un dessin suffisamment fin pour échapper à la morsure des termites” (10). Notons que les figures, dessins, réseaux et réticules abondent dans les portraits urbains dessinés par Marco et par le Khan. [18] Bien souvent ces structures relèvent de la représentation esthétique ou sont associées à elle (voir les emblèmes de Marco, resp. 10 et 30, les statues de Tamara, 19, les photos de Maurillia, 39, les maquettes emboîtées dans des boules de verre de Foedora, 41, et le tapis d’Eudoxie, 115). Ainsi l’œuvre d’art, d’après Calvino, est le moyen par excellence pour capter et réorganiser la vie amorphe. [19] Mais il n’y a pas que les artistes à se servir de dessins et figures. Les réseaux, filets, et leurs dérivés, les parcours et trajets, abondent à l’intérieur des villes de l’empire. L’homme est un ‘animal symbolicum’ qui communique de préférence à la base de signes. C’est surtout dans les rubriques des ‘Villes et les signes’ et des ‘Villes et la mémoire’ que ces points de repère sont discutés. Ainsi les habitants d’Ersilie (92-93) ont coutume de tisser des fils entre leurs maisons, en signe de liens affectifs ou formels de toutes sortes. Lorsque les fils empêchent la libre circulation dans les rues, les Ersiliens vont s’installer ailleurs pour y reconstruire leurs réseaux de communication. [20]

Les deux interlocuteurs qui s’interrogent à tour de rôle sur la description problématique du monde, abordent le réel d’une façon totalement différente. Marco est l’homme à la mémoire associative. A l’opposé de son modèle historique, le fanfaron qui a dicté à autrui sa vision du monde, le Marco que nous présente Calvino est un urbaniste beaucoup moins assuré. Il s’essaye à différents moyens descriptifs: la parole, les gestes, la mimique, les emblèmes, la charade. La plupart des villes invisibles sont les produits rationnels de sa mémoire imagée. Cette faculté logique et lucide de penser en des images claires qui ne dérivent pas vers le fantastique confus, Calvino l’appelle, dans les Leçons américaines, la “fantasia icastica” (149). Marco est l’homme de l’immanence, il approche l’empire en anthropologue postmoderne modéré (étant donné qu’il ne désespère pas de le connaître): il tient à représenter le réel du dedans, en recherchant les différences entre les choses. Témoin la brève discussion qui clôt la cinquième section: Marco décrit une à une les pierres formant l’arc du pont, tandis que le Khan ne s’intéresse qu’à l’ensemble de l’arc.

Effectivement Kublai, lui, tient à une approche structuraliste du dehors. Il privilégie les survols, le modèle, la loi et le code. La ville est gouvernée, à son avis, par la raison et le hasard. Il aimerait dominer le réel moyennant les procédés, le jeu d’échecs par exemple grâce auquel il pense de mieux pouvoir contrôler la vie protéiforme (“Il pensa: Si chaque ville est comme une partie d’échecs, le jour où j’arriverai à en connaître les règles je posséderai enfin mon empire” (141)). Les échecs réfèrent à Saussure qui compare les règles de ce jeu au système syntaxique de la langue, [21] et aux écrivains de l’Oulipo, qui se servent entre autres des coups du jeu d’échecs comme contrainte.

En revanche, Marco utilise l’échiquier comme symbole anthropologique de la société qui se renouvelle en se déplaçant continuellement (voir 79-80 la ville d’Eutropie), voire comme indexe du réel (cf. 152-153 le bois de l’échiquier). Les deux attitudes face au réel qu’incorporent Kublai et Marco, ainsi Calvino dans les Leçons américaines, renvoient à la tension entre l’utopie et le réel dans son œuvre:

En écrivant cette page [la page des Villes invisibles sur l’échiquier, 152-153], j’ai clairement compris que ma recherche de l’exactitude s’orientait dans deux directions différentes. D’un côté, la réduction des événements contingents à des schémas abstraits, permettant le calcul et la démonstration de théorèmes; de l’autre, l’emploi de mots qui rendent compte avec la plus grande précision possible de l’aspect sensible des choses. (Leçons américaines 120-121) [22]

Néanmoins il est clair que le narrateur des Villes invisibles opte pour la perspective anthropologique de Marco et qu’il se méfie des abstractions de Kublai. Bien qu’il tâtonne lui aussi, Marco figure comme le maître qui dirige les pensées du Khan, qui le provoque et le corrige. Dans les dialogues c’est lui qui en général a le dernier mot. Ses leçons semblent être fructueuses: le Khan apprend à manier les signes échangeables du réel sans vouloir les réduire à un modèle abstrait quelconque. A partir des discours de Marco il réussit à construire ses propres villes en déconstruisant celles du Vénitien, c’est-à-dire qu’il réussit à concevoir le réel en tant que prolongement de ses propres désirs et pensées (voir 55-56).

Outre le jeu d’échecs il y a l’atlas de Kublai qui figure également comme moyen descriptif du monde. C’est cette mappemonde miraculeusement exhaustive, représentant les villes du passé, du présent et du futur, qui l’emporte comme moyen d’enregistrement, parce qu’elle “garde intactes les différences” (160) et permet d’élargir les sphères de l’imaginable. Par sa dimension historique et utopique en même temps, elle symbolise le texte littéraire tel que Calvino le conçoit. Elle fonctionne à la manière de ces fantaisies que Calvino appelle les “machines logico- fantastiques autonomes”, qui servent à concevoir un monde selon d’autres valeurs et d’autres rapports. [23]

Conclusion: Les mots et les choses

Etant donné le caractère évanescent du réel, les discussions entre Marco et le Khan portent en première instance sur les moyens que nous possédons pour le décrire, et sur l’efficacité communicative de ces moyens. Plusieurs modèles descriptifs passent la revue, notamment dans les rubriques ‘Les villes et le nom’ et ‘Les villes et les signes’. [24]

Bien que sujettes à caution (“Il n’est pas dit que Kublai Khan croit à tout ce que Marco Polo lui raconte”, 9), ce sont les paroles, d’après Calvino, qui déterminent en premier lieu notre rapport au monde. Par là il diffère de ses collègues poststructuralistes pour qui c’est le texte écrit qui constitue l’unique et l’ultime point de repère dans un monde opaque. En outre, Calvino est d’avis que le langage ne peut être dissocié des choses: “L’écriture comme modèle de tout procès dans le réel […] et même comme seule réalité connaissable […] et même comme seule réalité tout court […] Non, je ne suivrai pas ces rails qui m’entraînent trop loin de l’acception qu’a pour moi ce mot: perpétuelle poursuite des choses, faculté de s’adapter à leur infinie diversité” (Leçons américaines 54). Ou bien, pour citer Kublai:

Il me semble quelquefois que ta voix [celle de Marco] m’arrive de loin, tandis que je suis prisonnier d’un présent tapageur et invisible, dans lequel toutes les formes humaines de la vie en commun sont arrivées à un bout de leur cycle, et on ne peut imaginer quelles formes nouvelles elles vont prendre. Et par ta voix j’écoute les raisons invisibles pour lesquelles vivaient les villes, et pour lesquelles peut-être bien, après leur mort, elles vivront de nouveau. (158)

Notons qu’en bons esthéticiens de la réception, les deux descripteurs du monde partent du principe que “ce qui commande au récit, ce n’est pas la voix: c’est l’oreille”. [25]

Cependant, les paroles s’avèrent en même temps mensongères, parce qu’elles standardisent le réel qui dépasse continuellement le modèle descriptif. Le signifiant (cf. 110-111 le nom de Pirra) aussi bien que le signifié (cf. 59-61, Ipazie et les signes échangeables) tendent des pièges à celui qui considère le langage comme le nec plus ultra pour circonscrire le réel. Calvino partage donc le scepticisme de ses collègues poststructuralistes vis-à-vis du langage. Le colloque de Marco est lardé de silences et le Khan préfère les objets concrets que Marco a collectionnés en cours de route à ses discours tâtonnants (voir 30). Comme les objets risquent d’emblématiser celui qui les utilise (31), Marco s’essaie aussi à l’hypothèse contraire: “le mensonge n’est pas dans les discours, mais dans les choses” (76). Puisque les choses de par leur dynamisme plurivalent défient sans cesse tout système descriptif, il est peut-être vain d’essayer de les circonscrire. Marco est à la recherche d’un nouvel ordre de mimésis où l’hiérarchie de la chose et du nom soit abandonnée.

Bref, Les Villes invisibles dénoncent l’impossible dépassement de la dialectique du couple modèle-réalité (Bernardini 191-92). Chez Calvino, note Mengaldo,

il n’est donc pas question d’une mystification du discours face à une prétendue vérité vierge et indicible des choses: le mensonge est à la fois dans les paroles et dans les choses; par conséquent le mensonge du langage répète celui du réel, mais en même temps […] il peut par un mouvement inverse révéler le caractère trompeur du réel. Mais cela arrive seulement si la dimension du ‘mensonge’ est assumée à fond et de façon délibérée, c’est-à-dire lorsque le rapport entre le discours et les choses est le rapport oblique, négatif, de la fable utopique. (416)

Ainsi l’approche du monde dans Les Villes invisibles se situe entre l’utopie et la dystopie. Il s’agit d’une approche constructiviste de la ville “discontinue dans l’espace et dans le temps”. Elle concerne en première instance le rapport entre l’homme et son entourage. La vie future, selon Calvino, peut être comparée à une

ville qui ne pourra être fondée par nous mais qui pourra se fonder elle-même à l’intérieur de nous, se construire morceau par morceau grâce à notre capacité de l’imaginer, de la penser jusqu'au fond, ville qui prétend nous habiter, non pas d’être habitée, et ainsi elle fait de nous des habitants possibles d’une troisième ville […] née de l’heurt entre de nouveaux conditionnements intérieurs et extérieurs. (‘L’utopia pulviscolare’ 312)

Ouvrages cités

Bernardini Napoletano. I segni nuovi di Italo Calvino. Roma: Bulzoni editore, 1977.
Calvino, Italo. Le città invisibili. Torino: Einaudi, 1972. Traduction française: Les Villes invisibles. Paris: Seuil, 2002 [1974].
---.Lezioni americane. Sei proposte per il prossimo millennio. Milano: Garzanti, 1988. Traduction française: Leçons américaines. Paris: Seuil, 2001 [Gallimard 1989].
---. Saggi 1945-1985. Vol. I. Milano: Mondadori, 2001.
---. Saggi 1945-1985. Vol. II. Milano: Mondadori, 2001.
---. “L’ordinatore dei desideri.” Saggi Vol. I: 279-306.
---. “L’utopia pulviscolare.” Saggi Vol. I: 307-314.
---. Préface. Les Villes invisibles. Paris: Seuil, 2002. I-VIII.
- Camon, Ferdinando. Il mestiere di scrittore. Conversazioni critiche. Milano: Garzanti, 1973.
- Falcetto, Bruno. “Le cose e le ombre. ‘Marco Polo’: Calvino scrittore per il cinema.” Mario Barenghi et autres, La visione dell’invisibile. Saggi e materiali su Le città invisibili di Italo Calvino. Milano: Mondadori, 2002. 62-73.
- Hoch, Christoph. “Eudossias Teppich: Zu Theorie und Praxis intertextuellen Erzählens in Italo Calvinos Le città invisibili.” Romanische Forschungen 106 1 (1994): 187-210.
- James, Carol P. “Seriality and narrativity in Calvino’s Le città invisibili.” Modern Language Notes 97 ( 1982): 144-161.
- Kuon, Peter. “Critica e progetto dell’utopia: ‘Le città invisibili’ di Italo Calvino.” La visione dell’invisibile: 24-41.
- Mengaldo, Pier Vincenzo. “L’arco e le pietre.” La tradizione del Novecento. Da D’Annunzio a Montale. Milano: Feltrinelli, 1975. 406-426.
- Milanini, Claudio. L’utopia discontinua. Saggio su Italo Calvino. Milano: Garzanti 1990.
- Oulipo. Atlas de littérature potentielle. Paris: Gallimard 1981.
- Segre, Cesare. “Le città invisibili di Calvino e la vertigine epistemica.” Strumenti critici XIX 1 (janvier 2004): 43-53.
- Waage Petersen, Lene. “Il fantastico e l’utopia. Le strategie del fantastico in Italo Calvino con speciale riguardo a Le città invisibili.” Revue Romane 24 1 (1989): 88-105.

Notes

[1]
Cependant la place importante que les oulipiens ont réservée au récit à l’intérieur de leurs ouvrages les distancie des poststructuralistes officiels (tels les auteurs liés à la revue Tel Quel), qui, eux, ont abjuré tout lien avec l’aventure romanesque.

[2]
I fiori blu (Les fleurs bleues), Einaudi, Torino 1967. En 1981Calvino écrit une introduction pour la traduction italienne des essais de Queneau, Segni, cifre e lettere, e altri saggi, publiés également chez Einaudi.

[3]
Voir ses lipogrammes (dans Bibliothèque Oulipienne IV, 1977), Piccolo sillabario illustrato inspiré de Perec (dans Bibliothèque Oulipienne VI, 1978) et un conte resté inachevé, ‘L’ordre dans le crime’, où Calvino a eu recours à l’ordinateur pour sélectionner des réalisations textuelles compatibles avec des contraintes (voir Oulipo. Atlas de littérature potentielle(319-331)).

[4]
Charles Fourier, Teoria dei Quattro Movimenti – Il Nuovo Mondo Amoroso e altri scritti sul lavoro, l’educazione, l’architettura nella società d’Armonia, Einaudi, Torino 1971. L’introduction de la main de Calvino s’intitule “L’ordinatore dei desideri”.

[5]
Commentaire de Calvino: “Dans la réalité historique, c’était un descendant de Gengis Khan, empereur des Mongols; mais dans son livre, Marco Polo l’appelle Grand Khan des Tartares et c’est ainsi qu’il est entré dans la tradition littéraire”, ‘Préface par Italo Calvino’, dans Les Villes invisibles,(IV) (il s’agit d’une conférence donnée à la Columbia University de New York en 1983).

[6]
Pour un aperçu, on consultera La visione dell’invisibile (10-21).

[7]
Témoin aussi l’Atlas de littérature potentielle (415), qui classe Les villes invisibles parmi les œuvres non oulipiennes de Calvino.

[8]
Les remarques de Carol P. James, in “Seriality and narrativity in Calvino’s Le città invisibili”, sont particulièrement révélatrices à cet égard. Voir surtout p. 147: “The arrangement of Calvino’s cities is not one that builds up a story or anything at all except its own system” et p. 148/-49: “The cities refuse to give themselves over to a thematic pattern that would support, replicate, or mirror the numerical pattern. Seen from this perspective, the cities fragment themselves thematically because of the impossibility of reading any coherence into the various sets […]. The cities remain, or better put, are remainders or fragments at odds with their arrangement”. James compare le système numérique des rubriques au palindrome.

[9]
Les Villes invisibles, Seuil 2002, pp. 23-24. Toutes les références sont à cette édition.

[10]
La thématique du lieu intériorisé fait penser à Proust. Voir la fin de “Noms de pays: le nom”, la dernière section de Du côté de chez Swann: “le souvenir d’une certaine image n’est que le regret d’un certain instant; et les maisons, les routes, les avenues, sont fugitives, hélas! comme les années”. De même que le narrateur de la Recherche, Marco s’essaie aussi à titre expérimental à la sémantisation des noms (cf. par exemple 110-111, le nom de Pirra).

[11]
Ainsi Calvino a emprunté le cadre narratif des Villes invisibles, comprenant deux interlocuteurs aux points de vue divergents, à l’Utopia de Thomas More. Voir aussi Pier Vincenzo Mengaldo qui remarque à propos de l’utopie calvinienne: “Le livre de Calvino [= Les Villes invisibles] se maintient dans l’écart et la tension continuels entre l’utopie et le réel, de sorte que l’utopie se présente explicitement comme telle et en même temps veut être jugée suivant son degré de plausibilité et de déviation du réel” (417; c’est nous qui traduisons).

[12]
A mon avis la description de Bersabée constitue le portrait social le plus cynique des Villes invisibles. Calvino s’inspire ici du grotesque corporel dans l’utopie satirique, où chier et déféquer sont à l’ordre du jour. Exemple: Les voyages de Gulliver de Jonathan Swift (1726).

[13]
C’est ainsi que j’interprète la crainte des Bersabéens que le ciel étoilé n’explose (voir aussi 115-116, la ville d’Eudoxie et le ciel étoilé). Il semble que Calvino se moque de l’absolutisme des idéologies religieuses et politiques.

[14]
Malheureusement Calvino n’a plus pu prononcer ces conférences rédigées pour un cours à l’Université Harvard.

[15]
Le recommencement est un thème récurrent dans la littérature existentielle – voir par exemple l’épilogue de L’Etranger de Camus.

[16]
Le thème de la légèreté fait aussi partie du lexique de la littérature existentielle, en tant que réaction à la pesanteur de l’existence. Calvino y réfère dans “Légèreté” (54).

[17]
Voir aussi à ce propos les remarques de Claudio Milanini: “Si l’on s’accorde pour dire que ‘l’être’ ne serait rien d’autre qu’‘être perçu’, on tombe dans des paradoxes théoriques sans issue …” (133).

[18]
“Le réseau constitue une des structures topologiques fondamentales dans l’œuvre calvinienne” (Milanini 145 note 5).

[19]
Voir le chapitre sur la visibilité dans les Leçons américaines, où Calvino se prononce de façon positive sur l’image en tant qu’instrument de recherche du réel.

[20]
Cesare Segre cite la description d’Ersilie en exemple de l’intérêt que Calvino manifeste pour l’anthropologie de Lévi-Strauss (47).

[21]
Voir Segre (47), et Christoph Hoch (205). Hoch ( 206-207) renvoie encore à des parallèles entre le texte de Calvino et certains traités médiévaux sur les échecs, tel le Libellus de moribus et de officiis nobilium super ludo scaccorum de Iacopo da Cessole (fin du XIIIe siècle), où apparaît la métaphore des échecs en tant que miroir du monde.

[22]
Voir aussi le commentaire de Mengaldo (417-418).

[23]
Cf. Calvino, “L’utopia pulviscolare”, in Saggi, Vol. I (312). Sur l’idée de la machine logico-fantastique en rapport avec l’utopie chez Calvino, voir aussi P. Kuon (26-27). Sur l’écriture-mappemonde-indexe, voir Calvino, Le Chevalier inexistant, ch. IX.

[24]
Pour un aperçu des codes de communication discutés par Marco et Kublai, voir Bernardini (195).

[25]
La “Rezeptionsästhetik” fut lancée au début des années ’70 par Hans-Robert Jauss et Wolfgang Iser. Bien entendu la mise en relief du rôle producteur de l’auditeur s’accorde bien avec l’approche subjectiviste du réel que Calvino soutient dans Les Villes invisibles.


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